Il y a des sourires dont la grâce parle à l’esprit

                                                                                               Al Mankhol 5 avril 2016

Il est 10 h du matin. Je suis allongé dans une chambre où règne le noir complet. J’ai mal aux yeux, mal au ventre, j’ai la tête qui tourne. J’ai beaucoup trop dormi. Dans la chambre, une télé tourne en boucle sur le scandale du jour « Panama Papers ». Je reconnais la voix nasillarde des speakers de CNN. Un whistleblower a réussi à subtiliser 11 millions de documents d’un cabinet d’avocats pour les balancer aux journaux du monde entier. Je suis probablement dans un Hôtel. Je reconnais toujours les hôtels à l’odeur des draps. Elle est partout la même cette odeur de vinaigre. J’imagine que deux ou trois étages plus bas, un petit déjeuner m’attend. Du café, du jus, des oeufs brouillés, du bacon, des saucisses, des haricots, des fruits, du yaourt, une ou deux viennoiseries, le menu habituel.  Cette fois, je ne sais pas où je suis. Je suis à moitié éveillé et ne retrouve toujours pas mes esprits. Je me lève pour ouvrir les rideaux et là, derrière la vitre, la ville la plus folle jamais vue. Une ville irréelle. Aussi folle et irréelle qu’une maquette en 3D.

Dehors, la lumière est blanche et aveuglante. Il y a des enseignes partout. Toutes les marques du monde représentées. Il y a beaucoup d’ Indiens et de Chinois en uniforme derrière les comptoirs. Ils ont plutôt l’air philippin les Chinois d’ici. Un homme passe en djellaba blanche, un keffieh blanc sur la tête et des sandales blanches aux pieds. En fouillant dans mes affaires, je tombe sur le nom d’Adanetch K. Ca y est, tout me revient ! Je suis dans le studio 105 du London Creek Hotel situé à l’angle de Kuwait Street et la 19è rue, à 10 m du Burjman Shopping Mall dans le quartier Al Mankhol, à Dubaï City aux Emirats Arabes Unis. Je suis arrivé hier soir d’Addis Abeba dans un vol Emirates. A part mon sac de cabine, dans lequel se trouve mon ordinateur et quelques documents, je n’ai rien d’autre sur moi. Pas de bagages, pas d’habits de rechange ni de trousse de toilette. Je ne peux me brosser les dents ni changer de sous-vêtements. J’ai quitté Kigali hier pour aller à Bruxelles et j’ai atterri dans le Golfe persique ! Je suis attendu demain soir à Paris pour une première à Theatre Ouvert. Personne au monde ne sait que je me trouve ici dans cette chambre, dans cette ville et dans ce pays. S’il m’arrivait un malheur, personne n’aurait le cerveau assez dérangé pour rechercher ma trace en Asie.  Maintenant me voici assis dans un car de touristes, derrière un guide indien qui ressemble à s’y méprendre au Super Mario de Nintendo. Il nous raconte, dans un sabir anglais, la construction de cette ville-mall en plein désert. J’ai été tout à l’heure m’acheter des fringues au Burjman et pris quelques courses au Spinneys, le plus naturellement du monde, comme si je vivais ici depuis toujours. Tous les malls du monde se ressemblent. Les mêmes produits, les mêmes promos, les mêmes caissières et les mêmes caddies. J’exécute la chorée habituelle. J’entre, je roule ma brouette, je slalome entre les rayons, j’attrape deux trois bricoles, je fais la queue, je tape mon code et zou ! Pas besoin de connaître la langue locale, les algorithmes suffisent. Je me tais, ils se taisent, je tend, ils encodent, ils tendent, j’encode, ça bipe, deal ! J’ai croisé dans la rue des Africains. Des hôtesses de Qatar Airways, des vendeuses de smartphones et des hommes d’affaires. Nous nous sommes échangés salutations et sourires implicites comme s’il y avait un pacte secret entre nous. Un ange passe. J’ai pris des photos. Dont un selfie devant une enseigne qui vend du champagne et du caviar dans un kiosque. C’est aussi cela Dubaï. La police roule en Ferrari, en Lamborghini, en Aston Martin, en Bugatti, dans les voitures les plus chères au monde et on peut y bouffer du caviar Almas en sifflant un magnum de Dom Pérignon de la même manière qu’on s’envoie un kebab. En tongues, bêtement accoudé sur le guichet d’un kiosque de gare.  Dépouillés du pouvoir symbolique dont ils sont investis ailleurs, tous ces bibelots du fétichisme occidental ne sont ici que de simples « goods » !

Parfois, par intervalles réguliers, mon corps s’échappe. Je me mets alors en retrait, en spectateur et le regarde. C’est ce qui m’est arrivé la veille à Addis Abeba. Mon vol pour Bruxelles ayant été ajourné pour raison d’attentat à l’aéroport de Zaventem, je cherchais un autre vol pour arriver directement à Paris.  Je commençais à désespérer, quand je vis au loin une femme me faire signe. C’était une dame d’un certain âge vêtue du tailleur vert impérial des hôtesses d’Ethiopian Airlines. Elle s’exprimait doucement dans un français soigné. Responsable d’un petit guichet d’information planté au milieu de l’allée centrale, elle avait fini sa journée et s’apprêtait à rentrer chez elle. Elle resta cependant pour m’aider à trouver un vol pour la France. La navette qui devait la ramener en ville partit sans elle. « Ce n’est pas grave, me dit-elle, je pendrai un taxi, mais je ne peux partir sans trouver de solution pour vous car je ne reviens plus l’après midi et je dois vous aider ».  Ces mots « je dois vous aider » me laissèrent songeur. De quel devoir parlait-elle ? Elle descendit à plusieurs reprises en boitant du pied gauche au bureau d’Ethiopian Airlines au sous-sol pour prendre des renseignements. C’était une femme bien portante et sa démarche pénible rendait ses allers-retours encore plus éprouvants. Elle appela de son téléphone personnel toutes les agences de voyage à Addis et finit par me trouver un vol Emirates pour Dubaï et de là, je pouvais prendre un autre vol pour Paris le lendemain. Emirates n’avait pas d’agence dans l’aéroport même. Comme je ne pouvais sortir du transit, elle se proposa d’aller acheter le billet à ma place. Elle me demanda de mettre l’argent dans une enveloppe. C’était une certaine somme et cette somme était tout ce que j’avais sur moi. Mon coeur se mit à battre très fort. Et si elle ne revenait pas ? Elle avait fini son service, rien ne la retenait plus dans cet aéroport, personne d’autre n’était témoin de notre conversation, dois je lui demander de signer un reçu ? Une copie de sa carte d’identité ? Misère, ce serait indécent de demander de telles garanties à une personne aussi secourable qui offre gratuitement son aide.  Et si j’étais en train de me faire plumer comme un pigeon ? Adanetch se tenait debout devant moi et attendait. Il ne me restait qu’une fraction de seconde pour me décider avant que ne s’installe un moment d’embarras entre nous. A cet instant précis mon bras se dissocia et lui tendit l’enveloppe dans un geste franc et chaleureux. Je me suis vu lui tendre la somme comme un automate. J’étais à la fois horrifié et fasciné par ma propre candeur. Par moments, je sens encore battre le coeur de l’enfant gâté que je fus jadis, qui pour n’avoir connu ni la faim ni les privations, n’a développé aucun mécanisme de défense. Je l’entendis me dire cet enfant,  dans un murmure, alors que j’hésitais : « N’aie pas peur, fais confiance ».

J’ai eu largement le temps de méditer sur la confiance pendant que je voyais Adanetch K sortir en boitant de l’aéroport Bole d’Addis Abeba, emportant, dans son sac à main, tous mes moyens de survie dans cet aéroport inhospitalier où je ne connaissais personne. Je suis resté interdit pendant un moment, hypnotisé par le sas de sortie où sa silhouette s’était évanouie dans un halo de lumière. J’eus largement le temps de ressasser mille et une fois cette voix juvénile qui m’avait poussé à faire un saut dans le vide.

Il me prend souvent l’envie de l’étouffer cette voix. Toujours dans les mêmes circonstances. Comme lors d’un précédent séjour en Ethiopie où je m’étais fait avoir dans un faubourg d’Addis Abeba. Quand m’arrive ce genre d’embrouille, je passe des mois à ruminer le même mantra. Je vais m’endurcir le coeur et le rendre imperméable. Je vais sculpter sur mon visage un masque impassible et me tailler dans le creux des yeux le regard perçant d’un aigle.  Au bout d’un temps, l’enfant refait surface comme une fêlure de la conscience ou une idée des hommes dont je n’arrive pas à me libérer. Malgré l’uniformité du monde et les menaces innombrables que cette époque ne cesse de brandir, j’éprouve souvent un besoin irrépressible de faire confiance à des inconnus croisés au détour d’un chemin.

C’est le cas d’Adanetch K, femme d’une cinquantaine d’années, qui s’occupe dans l’aéroport Bole d’Addis Abeba du service clients. Plus précisément de l’information dans cet aéroport régional qui ressemble de plus en plus à un caravansérail. Des marchands africains y croisent des pèlerins arabes au milieu d’une foule de Chinois venus faire des affaires en Afrique. Adanetch parle la langue de chacun d’entre eux. Elle trône au milieu de l’allée centrale derrière un guichet minuscule. De ses grands yeux, elle observe la cohue. C’est une femme digne avec un air de Joconde blessée, marquée au visage par des traces de brûlure qu’elle dissimule sous une couche de fard et beaucoup de mascara. Quand je l’ai rencontrée, elle venait de perdre ses deux frères. De mort violente. L’un par accident, l’autre d’un coup de couteau. Elle n’a pas pu s’en remettre. C’est pour ça, par réaction au choc émotionnel, qu’elle développait des plaques de brûlure au visage. Son grand frère, celui dont elle était la plus proche, a été attaqué par des brigands, il est mort à l’hôpital. Adanetch pleurait à chaudes larmes en parlant de son frère : « C’était un homme brillant et bon, il aimait les gens. Il était médecin aux Etats-Unis. On l’a tué pour lui voler un téléphone. A sa mort, je l’ai enterré ici à Addis Abeba. J’ai acheté une tombe à côté de la sienne où j’irai reposer à la fin de mes jours ».

Adanetch est un passeur dans les limbes du caravansérail Bole d’Addis-Abeba. Tous les jours un monde fou passe sous ses yeux. Les voyageurs sont pressés, ils se bousculent. Attentive, Adanetch repère les âmes errantes et leur fait un signe amical de la main. Elle s’occupe d’eux. Elle prend leur problème et en fait une affaire personnelle. C’est une personne dont l’âme est transparente, dans les mains de qui on a envie de s’abandonner. Pendant les 3 heures que j’ai passées à discuter avec elle, elle a arrêté tous les  Africains qui passaient à côté de son guichet. Tous sans exception. Pour les supplier d’aider une femme nigériane assise trois mètres plus loin sur un banc. « S’il vous plait, c’est une mère de famille. Elle est africaine comme nous, aidez-là s’il vous plait. Elle n’a plus de billet retour, elle a besoin de six cents dollars pour retourner à Lagos. Ca fait une semaine qu’elle est ici dans cet aéroport, sans aucune possibilité de renter chez elle retrouver sa famille, s’il vous plait, s’il vous plait ! » La Nigériane était là, impassible, ne prêtant aucune attention aux discussions la concernant. Elle n’affichait aucune expression sur le visage comme si tout cela finalement ne la concernait plus. Ce n’était plus son affaire, mais celle d’Adanetch. Je ne sais pas combien de temps cette femme passera dans les limbes. Ce qui est sûr, qu’il vente ou qu’il neige, que cela prenne un jour de plus ou un année à supplier l’Afrique entière, Adanetch K ne la lâchera pas. Elle continuera d’arrêter tous les Africains qui passeront devant son guichet pour les supplier de considérer le sort de leur soeur avec un peu plus d’humanité. Elle continuera d’essuyer refus sur refus mais elle ne baissera pas les bras. Si personne ne répond à son appel, sa santé se détériorera, sa peau se couvrira de brûlures de plus en plus profondes jusqu’à ce qu’elle en meure un jour parce qu’elle est incapable de vivre dans l’indifférence comme tout le monde, à côté d’une telle souffrance, et poursuivre sa route.

Adanetch réapparut comme elle était partie. Son visage se découpa dans la lumière douce de l’après-midi, irradié par un sourire victorieux. Elle arriva en brandissant triomphalement mon billet d’avion comme un trophée.

J’ai croisé beaucoup d’anges gardiens dans ma vie, dans les endroits les plus improbables du globe. Beaucoup d’entre eux étaient des femmes de tous les âges, d’autres étaient des hommes de la même trempe.  Pour certains, ce fût en des circonstances si particulières que si ma route n’avait croisé la leur, la mienne aurait pris un cours tragique. J’ai gardé les noms de certains d’entre eux mais pour la plupart, je ne sais rien de leur vie, leur foi, leur drame, ce qui les rend si attentifs à l’autre ni ce qui les motive vraiment. Pour quelle raison se sentent-ils concernés par autrui au point de porter sa croix sur leurs épaules ? Pourquoi ? Pourquoi lui ai-je demandé ? Pourquoi faites-vous tout ça Madame K ? Qu’est ce qui vous anime ? Etes-vous croyante ? La question la prit de court, elle n’avait pas de réponse toute faite à me donner. Je fus surpris moi-même en la posant, comme si j’avais oublié l’espace d’un instant que j’étais un mécréant. Comme si le Dieu de mon enfance était toujours vivant, tapi au fond de la conscience, comme ultime explication au mystère infini de la grâce.

En attendant Dieu

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Diallobe

Nous voici de nouveau dans l’arène. Ensemble, comme hier je ne sais plus combien de centaines de fois. La scène est là, étale sous nos pieds, au dessus de nos têtes les mêmes feux baignent nos rires, nos colères, nos moments de grâce. C’est une aurore sur nos épaules, le temps de tirer un portrait du siècle et c’est déjà la nuit. Qu’avons nous compris de ce monde qui grince de partout. Pour l’instant, je me contente de savoir que je te connais. Je regarde le Senegal à travers tes yeux. Je ris et je chante dans ta tête. Je parle de Dakar où je n’ai pas vécu. Mais je viens souvent dans ce pays me ressourcer. Dans ta famille, avec tes camarades d’enfance, avec tes acteurs nos amis. J’ai pris l’habitude grossière de m’y sentir chez moi. J’abuse de l’accueil et de l’hospitalité de mes hôtes. Je m’oublie, je baisse la garde.  Les maisons sont béantes, ouvertes aux quatre vents, au voisin qu’on arrête dans la rue pour lui passer un verre de thé avant de le laisser poursuivre. Personne ici ne pense engager un gardien pour veiller sur son sommeil. Il n’y a pas de murs forteresses pour isoler les demeures des regards indiscrets. Je ne sais pas dans quelle mesure les Sénégalais savent qu’ils sont un peuple épargné. Il y a dans les familles des grands et des arrières grands parents. C’est presque choquant !

Je suis revenu ici après ton départ pour finir ton chantier. J’y suis allé, pour ne pas réfléchir, en me jetant dans la glaise à corps perdu. La route est longue, semée d’embûches, il faut se casser en deux, se faire une violence inouïe, entrer par effraction à l’intérieur de soi, vaincre la fatigue et l’excitation. Se maintenir éveillé jour et nuit, pour tout saisir, tout questionner, attraper les fulgurances à la volée. Regarder  les acteurs, les comprendre, les surprendre dans leurs moments privés quand l’enfant enfoui s’éveille et se met à jouer pour de vrai. Deviner le chemin intérieur de chacun, écouter, apprendre, tout réapprendre comme au commencement du monde, se laisser attraper par la main, rire et  pleurer ensemble. Battre les corps comme du grain sur la meule, parfois ça saigne, les blessures remontent à la surface, alors on arrête, on laisse couler. On s’embrasse et on repart au front les poings serrés.  Par stations, on invite les convives, pour servir le pain frais de la forge.

Le théâtre est un art éphémère. C’est sa force et sa beauté. Notre oeuvre ne nous survivra pas, nous le savons. Nous avons choisi de planter des fleurs pour exister. Qui fanent aussitôt épanouies. Nos oeuvres d’art ont cette singularité. On ne peut les clouer sur un mur, ni les offrir en cadeau sur le pied d’un sapin. La colère biblique de Bloody s’est tue. Je ne te verrai plus monter et descendre cet everest des mots, armé d’un verbe acéré comme un glaive. Le pilon ne mord plus la terre. Nos costumes et nos personnages ont achevé leur route quelque part derrière les pendrillons d’un théâtre. J’ai fait les comptes après ton départ. Seize ans à cheminer ensemble sur tous les continents, sur cette terre d’Afrique et dans ses bastions d’outre mer. A chercher des réponses que nous n’avons pas trouvées. Dans la Caraïbe chez Césaire d’où nous sommes toujours partis et toujours revenus. Que restera t’il de nos jeunes années ? Aucune idée ! Me voici donc à l’âge de transmettre sans savoir quoi dire aux jeunes générations. Si ce n’est qu’il faut aimer la bagarre. Pour l’instant c’est tout ce que je peux dire de toi. J’affinerai demain. Quelque chose demeure, dont les contours m’échappent. Nous en reparlerons.

Pour le moment, il faut parler du Senegal. Non, de l’Afrique ! Parler de l’Afrique est aussi risqué que de traverser un champ de mines. Il faut slalomer. Il y a des pièges partout. Ca m’empêche de dormir. Dans mes insomnies j’ai découvert un écrivain de notre génération. J’ai vu l’homme, c’est un sage. C’est à dire un homme de son temps. Pas un mage retiré à l’écart du monde. Il éclaire la spiritualité des temps présents. Il s’appelle Felwine. Voici ce qu’il dit de l’art et de l’Afrique et du risque que prennent les artistes à donner de ce continent une image implacable  » ..Singhiam ne s’était jamais reconnu dans ce misérabilisme et ce catastrophisme dépeignant l’Afrique comme un bloc monolithique, réservoir de toutes les misères du monde. Il ne s’agissait pas de nier les difficultés réelles que ces peuples courageux et d’une noblesse rare s’employaient  à surmonter. Mais il y avait quelque chose de rassurant à dépeindre les autres ainsi. A ne les voir qu’à travers leurs plaies. L’autre souvent nous définit par antinomie. Ses misères nous révèlent nos grâces, que nos yeux trop habitués ne voient plus. Quel meilleur antidépresseur ! Un petit coup de blues et voila qu’un reportage sur le Liberia vous révèle la paix, la sécurité et le confort dont vous jouissez ; la qualité et la grande capacité d’organisation de votre société, à laquelle bien sûr vous avez contribué ! Et Chlak vous jetez votre boite de prozac par dessus bord… La complexité, c’est dur ! C’est notre travail ! Remuer les fantasmes et les peurs, c’est facile, on le sait et ça rapporte. ..Un certain Stephen Smith pour avoir compilé une série de catastrophes africaines agrémentées de chiffres alarmants, le tout courroné par un titre choc « Négrologie » a obtenu succès et prix littéraires…Certains écrivains africains ayant traité des maux de ce continent se virent pris au piège. Celui de ne plus pouvoir évoquer l’autre face de la pièce : la Vie. »

Comme tu vois, l’angle de tir est aussi tenu que le chas d’une aiguille. Alors souhaite nous bonne merde

 

A quoi servent les navets ?

« Les hommes, en général, jugent par leurs yeux que par leurs mains, tout étant à portée de voir, et peu de toucher » Machiavel in Le Prince

 

Bien avant l’avènement de la photo, du cinéma, de la télé, des jeux vidéos et d’internet, Machiavel avait anticipé le pouvoir subliminal des images. Aujourd’hui avec l’omniprésence des médias, les clercs pour endoctriner les masses n’ont plus besoin de grimoires hermétiques, de brandir des menaces ou de promettre le grand soir. Il leur suffit d’exposer à la vue.

J’ai appris un jour dans les rues de Berlin Est,  que le rouge vif était sous la RDA une couleur officielle, chasse gardée de l’Etat. Lui seul pouvait en badigeonner les bâtiments, le peindre en tableau ou en frapper les bannières. Le Rouge était le symbole vigoureux de la Révolution bolchévique. Ironie de l’histoire, de l’autre côté du mur, le Rouge était la couleur par excellence de l’icône la plus honnie de l’ennemi impérialiste, Coca-Cola ! Des deux côtés du rideau de fer, le capitalisme triomphant et le communisme victorieux se disputaient le Rouge sang. La guerre froide était aussi une guerre d’images. Mais bien avant la chute du mur, l’Ouest avait déjà gagné le match visuel. Aux couleurs ternes de la pravda, les magazines occidentaux  (Vogue, Life, Forbes..) opposaient un carnaval d’images glamours, alliant – pour reprendre la fameuse devise de Paris Match – le poids des mots aux choc des photos. Nul n’ignore les couleurs de l’arcanciel dont se pare le rêve américain, que les médias mainstream exportent en technicolor aux quatre coins de la planète.

Le vrai pouvoir du libéralisme, son magistère, se trouve entre les mains d’Hollywood et de la Silicon valley. Les clercs y officient dans les studios de la MGM, sur CNN, Al Jazira, sur Google, Netflix et Instagram. Sur tous les canaux planétaires du multimédia, d’où ils dispensent la bonne image. Un de ces gourous, Patrick Le Lay, alors patron de Tf1, se laissa aller, dans un moment d’abandon à cette confidence   » Ce que nous vendons à Coca-cola c’est du temps de cerveau disponible« . Par quel moyen donc les programmes de divertissement dont on entoure l’encart publicitaire de coca-cola –  consommez –  travaillent les cerveaux à s’y soumettre. L’intertainment, censé disponibiliser, pour les annonceurs,  le cerveau des téléspectateurs, même quand il est confondant de bêtise, n’est jamais vide de sens. Un programme nul n’existe pas. Bien plus subtils que les slogans, les programmes de divertissement marquent l’esprit de façon plus structurel.

La génération 2.0, la plus informée de toute l’histoire, qui subit à travers ses gimmicks électroniques un matraquage médiatique sans précédent, peut ignorer totalement le sort des Rohingyas, actuellement le peuple le plus persécuté du monde, mais elle connait par cœur les frasques du Gotha mondial. Ils peuvent citer de mémoire les derniers épisodes de la vie de Jayz, de Lady Gaga, de Beyoncé, de Messi ou Ronaldo, de toutes les icônes du consumérisme dont les télés et les tabloïdes leur narrent le moindre éternuement. Les écrans débordent en continu de soap-opéras et de telenovelas aussi creux que soporifiques. Mais cet univers aseptisé sans éclaboussures où tous les gens sont beaux et jouent en bourse, où les policiers sont tous sympas, dans lequel on ne peut entrevoir le moindre clochard, fascine ! C’est le monde des winners, le monde merveilleux des buveurs de coca  !

La réussite est rouge comme une Ferrari, elle est blanche comme une villa de Marbella, noire comme un smoking mais surtout, elle est verte comme le dollar ! De même, avons nous la sourde croyance – credo –  que les paysages enneigés représentent naturellement la démocratie, les dunes de sable la barbarie et les champs de bananiers l’autocratie. La démocratie c’est le skyline de New York. La fresque immortelle de la cité sainte, Gotham City, la Grosse Pomme ! Nous connaissons cette baie sous tous les angles par lesquels le soleil l’illumine. Elle symbolise pour tous la LIBERTE, raison pour laquelle le 11 septembre était un crime sacrilège. Bien plus qu’Hiroshima et Falloujah qui picturalement n’existent pas, le spectacle du skyline édenté de New-york illustre dans nos esprits cathodiques, la sauvagerie, le culot et la nature ignoble de l’être humain. Le World Trade Center était le pommier du paradis, Ben Laden, un vilain serpent !

L’hommage de Cyprien Rugamba à John Lennon et à la paix mondiale

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En 1981, une île triangulaire au cœur de Central Park à New York, hérita en hommage à John Lennon, du nom de « Strawberry Fields ». Yoko Ono, la femme de Lennon, souhaita que cette île soit un jardin universel où venant de toutes les nations, tous les peuples du monde viendraient y apporter une pierre ou y planter son arbre. Les plants finiront par devenir forêts, les rochers seront un lieu de repos pour les âmes errantes, les briques paveront les sentiers. Ce sera bien agréable, disait-elle, de trouver en un même lieu, un champ, tous les pays du monde représentés, vivant et poussant ensemble en harmonie. Ce sera une façon de rendre moins triste un triste chant. Ce jardin fût inauguré en 1985, cent vingt-trois pays avaient contribué à sa construction. En même temps que la participation des Etats, Yoko Ono demanda à des artistes représentant les cinq continents de s’associer à cet hommage à Lennon. Cyprien Rugamba écrivit pour la Fondation Ono, un texte appelé « La clé de voûte ». Il y évoque ce coin de Central Park, qu’il visita en 85.  Mémorial et jardin du monde construit à plusieurs mains sur cette terre new- yorkaise. Jardin auquel il trouvait des reflets de son pays natal, Urwanda.

J’ai découvert ce texte longtemps après la mort de Rugamba. En 2000 exactement, au moment de sa parution dans un ouvrage « IMAGINE Strawberry Fields » consacré à Lennon, au Editions du Cerf à Paris. Depuis, j’y reviens toujours, pour y chercher du sens, à des moments de confusion générale, comme celui que nous vivons en ce moment où la paix dans le monde paraît une chimère.  Rugamba y dresse en six défis, les conditions d’une cohabitation pacifique entre les hommes. En même temps qu’il rend hommage à Lennon et son rêve pacifiste, il y livre sa propre vision de la justice et de la paix. Comme un testament politique, 9 ans avant sa mort. C’était, il y a trente ans, avant la chute du mur, avant la fin de l’apartheid, avant Tchernobyl et Fukushima, avant la première et la deuxième guerre d’Irak, avant les attentats du WTC, avant la naissance d’Isis et d’Al Quaida. Le monde a beaucoup changé depuis. Cependant l’équation demeure.

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Rugamba en 1992, chez lui à Kimihurura, dans son bureau,  devant son éternelle machine à écrire, une  Hermès 3000
 
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LA CLÉ DE VOÛTE

extrait 

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Par Cyprien Rugamba

Qu’est-tu, Strawberry Fields, pour que tout le monde vienne spontanément et gaiement vers toi ? Es-tu ce patriarche, chevelure blanche et barbe foisonnante, autour duquel, le soir, près du feu, enfants et petits-enfants se regroupent pour apprendre de ses lèvres les valeurs ancestrales telles que le sentiment d’une amitié sincère, le plaisir d’une collaboration efficace, la joie de voir naître et se développer l’œuvre à laquelle chacun apporte sa contribution ?

Es-tu cet enclos traditionnel, surmonté de ficus séculaires et touffus, où s’organisent les noces d’été et vers lequel de multiples sentiers, serpentant collines et vallées, amènent des convives dans leur plus bel apparat ?

Tu ressemble aux demeures de nos pères, dans lesquelles une multitude de perches isolées, plantées en cercle dans le sol, s’élèvent, légèrement ployées, pour créer un point de jonction qui sera, à la fois, le sommet et la clé de voûte de toute l’architecture.

Bien plus qu’une simple évocation, tu es, par l’esprit de concorde qui te fait naître, un défi.

Défi contre l’égoïsme des hommes où l’individualisme exacerbé rapporte tout à soi et refuse de rencontrer et de partager avec le voisin.

Défi contre la gangrène de la confrontation qui sape l’esprit de collaboration, installe à demeure les antagonistes chroniques entretenus à grands frais et dont le triste résultat n’est rien d’autre que luttes idéologiques, conflits armés, détresse de millions de personnes déplacées ou désespoir de groupes évincés.

Défi contre les impérialismes politiques, économiques et culturels qui dénient à celui-ci le droit à l’autonomie, à celui-là la possibilité d’exploiter à son profit ses propres ressources, et aux autres le libre choix d’une culture conforme à leurs modes de pensée.

Défi contre la discrimination des populations ou des races, où les brimades, les taudis et la ségrégation constituent, au grand agrément de quelques seigneurs à l’esprit sadique et au langage fallacieux, une marque outrageante à la face de la communauté humaine.

Défi contre la pollution de l’environnement où, entre autres facteurs de dégradation du milieu, l’entassement des hommes et l’émanation de gaz toxiques menacent la salubrité publique et provoquent le déséquilibre des écosystèmes, au détriment de l’homme, victime naïve de lui-même.

Défi contre l’oubli des signes et des valeurs qui ont jalonné l’histoire de l’humanité, des idées fécondes de joie, de beauté et d’amour qui ont inspiré les artistes de tous les temps et sous toutes les latitudes.

Strawberry Fields, tu es un appel de l’homme à l’écoute du monde et de la vie, un reflet de tous les continents.

Tu es une plate-forme de choix, où l’homme, à quelque culture qu’il appartienne, vient communiquer les richesses inépuisables et les beautés ineffables de l’art et de l’inspiration en général.

Tu es un mémorial d’un homme qui, au milieu des vicissitudes a su dominer les contingences et chanter la délicatesse des sentiments intimes avec les accents d’une haute élévation et d’un pur raffinement.

Je te salue Strawberry Fields, image riante de mon pays où le Rwanda retrouve la paix et la verdure de ses paysages, la fraîcheur et la salubrité de ses climats, l’hospitalité et l’accueil de ses habitants.

Image riante de mon pays, où le pâtre, au crépuscule, à l’ombre d’un bois sacré, tire de sa flûte des airs aigres-doux, auxquels répondent en écho les chants pastoraux des bergers alentour ou la corne d’un chasseur attardé.

Image riante de mon pays, où les collines, couvertes de bananeraies et ondoyant sous la caresse du vent ou languissant sous un soleil accablant, s’adossent, comme dans un rassemblement concerté, à la chaîne des montagnes et contreforts de volcans millénaires, d’où jaillissent et se précipitent en cascades les sources insoupçonnés du Nil lointain.

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Je te salue, Strawberry Fields

jardin nouveau dans le Nouveau Monde

haies vives, senteurs balsamiques,

vivante réplique des collines d’Afrique

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Jardin nouveau dans le Nouveau Monde

Allées sablées, parterres gazonnés,

Bosquets ombragés, œillets, muguets

Où l’esprit quiet et fécond se délecte et crée

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Jardin nouveau dans le Nouveau Monde

où, loin des effluves des quais

du bourdonnement des quartiers

l’âme se recueille dans l’immensité

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le bestiaire rwandais

Tous les putois que je connais sentent l’eau de Cologne. Il faut dire qu’ils sont tous rwandais. Ce n’est pas que les Rwandais sentent particulièrement bon – quoique – mais je soupçonne les putois rwandais de tricher avec les humeurs du corps. Toujours tirés à quatre épingles, toujours frais comme les prés, la mine impeccable, le cuir luisant ! Il y a des noms qui conditionnent un homme, lui impriment une démarche. Quand on s’appelle Gasamunyiga, qu’on porte le nom de l’animal le plus malodorant de la planète, comme c’est le cas d’un certain nombre de mes compatriotes, on s’attend sans doute à ce qu’un jour quelqu’un vous renifle. Alors …

Quelle idée aussi de s’appeler Putois ! A l’exception de quelques vaches notoires (Munyambo, Sekanyambo, Gitare, Rusine, Kamagaju, Umukabyagaju, Kamaliza, Nyiranyamibwa, …) d’habitude quand un Rwandais porte le nom d’un animal, c’est celui d’une bête repoussante, insignifiante ou honnie. On trouve sur les registres administratifs rwandais beaucoup d’Hyènes – Mpyisi, Gapyisi, Nyirampyisi – de Taupes – Gafuku – de Rats – Sembeba – des Singes, des Gorilles et pas mal de  Guenons  – Cyondi, Nyiracyondi, Nyirankende, Ngagi –  des Bêtes affreuses   – Nyamanswa, Gisimba, Gakoko – des noms d’insectes comme Termite – Kimonyo – Fourmis – Sebushishi – Abeille – Ruyuki – ou  Guêpes – Semadwinga – beaucoup d’animaux domestiques,   des Chats – Kajangwe, Semabinga, Nyirahuku, Nturo – des  Chiens – Nakabwa, Kabwana – des Porcs – Kagurube  – des Chèvres – Nyagahene, Sehene, Ruhaya, Gasekurume – des Moutons – Sentama –  toutes sortes de gallinacés – Rusake, Nyirankoko, Gashuhe,  Gakware – ainsi qu’une volée de noms d’oiseaux – Semusambi, Segatashya, Nyiranuma, Fundi, Gasiga, Kanyoni, Kagoma, Kanyange, Kanyamanza, Kanuma,  Sebishwi…..

Qu’est ce qui pousse les parents à distribuer ces quolibets à leurs enfants ? Un trait de cet humour trash et cynique – kwishongora- propre aux Rwandais ? C’est possible, le sarcasme étant au Rwanda un sport national. Plus sérieusement ces noms servent surtout à tromper la mort. Comme disaient les anciens « So ntakwanga akwita nabi» Sans te détester ton père te donne un sale nom.

Avec les progrès de la médecine on oublie vite que jadis la naissance d’un enfant était un moment d’une angoisse extrême. La mort rodait  autour des couches.  Dans les régions à forte mortalité infantile, elle emportait un enfant sur deux, voire plus. Alors, quand la mort avait déjà pris un fils ou une fille dans une famille et qu’un nouveau né venait au jour, les parents mettaient en place des stratagèmes pour éviter que la faucheuse ne se serve encore. La sage femme tenait secret l’arrivée de l’enfant. On évitait de faire bombance tout de suite après la naissance. Il fallait attendre huit jours pour annoncer la bonne nouvelle. Huit jours pour être sûr que la mort a cessé de tournoyer autour du foyer. Que le nouveau venu fera partie des vivants. Pour égarer encore plus la mort, on évitait de donner à l’enfant un joli nom. La mort, grande amatrice de poésie, est sensible aux jolis vocables. Eviter d’allécher la mort en évoquant les bonnes prises. Eviter les « big five » – Lion, Léopard, Rhinocéros, Buffle ou Eléphant. La mort, bonne fourchette, se jette en premier sur les meilleurs morceaux de la faune. Alors pour la dégoûter complètement,  on donne au nouveau né un nom repoussoir. Comme ça la mort, qui entend mieux qu’elle ne voie, passera son chemin à l’évocation de l’enfant, sans se rendre compte que sous le masque de l’affreuse hyène ou du repoussant putois se cache le visage poupon d’un succulent et délicieux bébé.

Arrivés à l’âge adulte, les mal nommés pourront prendre leur revanche, en se composant des totems plus pompeux – ibisingizo. Comme il s’agit d’auto-portraits, que le propre de la jeunesse est de se croire plus forte que la mort, le luxe de la poésie écrase peu de monde disait un poète, les jeunes coqs osent alors se comparer aux grands fauves. Même les gringalets et les froussards deviennent par la magie du verbe, des lions indomptables – Ntare batinya – de redoutables buffles – Mbogo bahigana amacyenga – ou de majestueux pachydermes – Nzovu y’imirindi – Tremblez mortels !

Les problèmes éthiques que soulève l’esthétique d’EXHIBIT B !

Je propose ici l’intégralité de l’interview que j’ai eu avec la journaliste Sabine Cessou, au sujet de l’exposition EXIHIBIT B de Brett Bailey. Une partie de cet interview a été publiée sur Rue 89. Ici sont également abordés les problèmes éthiques soulevés par l’esthétique même de l’installation. 

Sabine Cessou : Que vous inspire l’exposition Exhibit B de Brett Bailey?
Je l’ai vue en 2012 à Bruxelles. Je m’en souviens comme si c’était hier. Je connais bien les thèmes qu’il traite, c’est un matériel explosif avec une forte charge polémique, qui peut produire le contraire de l’effet recherché au départ.
Exihibit B se présente comme un projet antiraciste. L’idée serait donc, en principe, de démontrer que les races n’existent pas, qu’elles sont une construction identitaire qui remonte à une période donnée. Or, l’exposition de Brett Bailey renforce le concept de race au lieu de l’abolir. Il sélectionne des événements qui ne sont pas de même nature. Il place une femme de ménage noire avec un seau près du cabinet de curiosités du Dr Fischer, l’homme qui a inspiré la politique hygieniste des Nazi, comme s’ils relevaient de la même problématique. Comment les adolescents qui voient cette expo puvent-ils comprendre ? Ce n’est pas possible de mettre un génocide (des peuples hereros et namas en Namibie, ndlr) à côté d’un sans papier ! On produit alors une soupe où le seul lien possible entre ces évènements est qu’ils sont motivés par le racisme anti-noirs.

Or, le problème noir n’est exclusif à aucun des évènements dont parle Exhibit B – à l’exception d’un seul, la traite transatlantique. Les crimes coloniaux ont été commis contre tous les peuples « indigènes » : les Amérindiens qui ont été exterminés à 90%, les Algériens, les Vietnamiens, les Indiens, les Aborigènes … Pourquoi enlever tous ces peuples d’une réflexion sur le colonialisme et ne garder que les peuples noirs ? Si je voulais être polémique, je dirais que Brett Bailey fait une épuration ethnique de l’Histoire ! Et le résultat, c’est qu’on n’y comprend plus rien. Est-ce qu’on peut démonter le racisme sans remettre en question le paradigme blanc-noir ?

S.C : Ne fait-il pas comprendre au spectateur que le nazisme repose sur un très large soubassement historique, celui de la traite et de la violence coloniale ? Une analyse qui relève encore du tabou en Europe et qui n’est enseignée dans aucune faculté ?
Hannah Arendt a fait ce lien entre l’impérialisme colonial et le fascisme, avec un ouvrage, L’impérialisme, le second volume de son oeuvre sur Les origines du totalitarisme, qui n’est pas très souvent cité. Aimé Césaire l’a fait dans Discours sur le colonialisme. Ce lien, on refuse encore de le faire, c’est vrai.

C’est très bien de parler des camps de concentration du Sud-ouest africain mis sur pied  par les Allemands. Les liens qui mènent aux Nazis sont nombreux et étroits. C’est dans les Camps de Namibie que Le Dr Fischer menait ses travaux, qui ont guidé la politique raciale du parti nazi mais également inspiré Hitler durant la rédaction de « Mein Kampf ». C’est le Docteur Fischer qui a formé le Dr Mengele, l’ange de la mort du camp d’Auschwitz. C’est dans les camps de Namibie que les colons allemands ont commencé à immatriculer les déportés. Cette colonie allemande du sud-ouest africain était gouverné par Heinrich Göring, le père d’Herman Göring l’un des plus hauts cadres du régime nazi. Trente ans seulement séparent le génocide des Hereros et des Namas de celui des Juifs et des Tziganes. Les Nazis c’est juste la génération d’après. Brett Bailey fait très bien d’exhumer cette histoire et de la porter à la connaissance de l’opinion.

Ce que je lui reproche, c’est d’exclure d’autres évènements de même nature pour des raisons idéologiques. D’exclure par exemple les premiers camps de concentration construits en Afrique du Sud par des Anglais pour y parquer des Boers pendant les guerres anglo-boers (1880-1902). Bailey n’en parle pas parce qu’ici les victimes sont des Blancs. Ca n’alimente pas sa lecture simpliste de l’histoire. Dans son exposition, Brett Bailey ne peut pas évoquer le Rwanda, puisque là, ce sont des Noirs contre des Noirs.

Traiter comme relevant du même phénomène la violence faite aux sans-papiers et celle de l’esclavage ou d’un peuple exterminé me paraît vraiment… fort de café ! Cela veut dire : « Parce qu’ils sont Noirs, les sans papiers sont expulsés ». Quid des Afghans, des Syriens, des Tunisiens, des Roms ? Dire que des sans papiers sont victimes parce que noirs, c’est tordre un pan de la réalité.  C’est surtout biaiser le débat politique que pose le problème des sans-papiers. Réduire les drames sociaux à leur charge émotionnelle peut toucher beaucoup de gens et convenir aux pouvoirs publics mais à un moment donné ça pose une question de sens. Comment peut-on s’émouvoir d’une violence dont on se félicite par ailleurs ? Mme Pellerin, Ministre de la culture, qui soutient Exhibit B, et donc se désole de l’expulsion musclée des sans-papiers, n’appartient-elle pas au Gouvernement de Manuel Valls qui a fait de la traque des sans-papiers son cheval de bataille ? Pourquoi le sort des sans-papiers serait dû aux préjugés de la société et non au cynisme des hommes politiques qui n’hésitent pas à démembrer des familles. Comme l’a fait François Hollande qui a osé demander à la télévision à une adolescente de choisir entre son école et ses parents ? Pourquoi le sort des migrants serait-il plus dû à une prétendue haine des Blancs contre les Noirs et non pas à la  politique ultra-libérale à laquelle s’est convertie le parti socialiste, et qui affame les pays du sud en leur imposant des traités léonins, condamnant les populations déshéritées à l’exil ? Est-ce le Français moyen qui a négocié les contrats qui permettent à la France d’acheter à vil prix de l’uranium au Niger, de devenir ainsi le leader mondial de l’industrie nucléaire et le Niger l’un des pays les plus pauvres ? Un projet comme Exhibit B permet aux véritables responsables de se défausser sur la population

S.B : Exhibit B revient-elle à fossiliser encore un cliché ?
Je vois là un gros problème de contenu. Tous les identitaires noirs, qu’ils s’appellent Roots, Kémites ou Antinégrophobes en sont au même point que Brett Bailey : ils utilisent un prisme noir pour lire l’Histoire. Dans les deux cas ils essaient de forger une sorte de déterminisme noir. Ils nous font croire que  la race est un moteur de l’histoire. Ou que la haine est un moteur de l’histoire. Ce n’est jamais ça ! Derrière les crimes, il y a toujours des intérêts.

La traite négrière fait partie d’un modèle économique qui a développé des théories raciales pour s’assurer une main d’oeuvre gratuite. Si on cessait d’éblouir les gens, de les étourdir carrément et qu’on montrait les véritables enjeux, on se rendrait compte que certaines questions politiques du moment ne sont pas aussi ridicules qu’on le prétend. Par exemple la question de la réparation, qu’on balaye d’un revers de la main. Si les négriers ne sont plus là pour répondre de leurs actes, qu’en est-il des colossales fortunes amassées durant des siècles ? Où est le trésor de guerre de la Compagnie des Indes orientales ? Dans quels fonds d’investissement ou entreprises florissantes aujourd’hui se trouve cet argent sale et les intérêts qu’il génère depuis. Tous les jours nous voyons des entreprises payer des amendes faramineuses pour avoir violé des règles commerciales. Le viol de règles du commerce est-il plus grave que les crimes contre l’humanité ?

S.C : La polémique autour de cette exposition n’en est-elle que plus absurde? 
Elle tourne sur elle-même avec des arguments qui font que personne, à aucun moment, n’a parlé du fond de l’affaire. A un point qui m’a sidéré ! La question qui est la plus revenue est celle-ci : un Blanc est-il légitime pour parler de ça ?
Brett Bailey ne se défend que de ça. C’est commode. Ce serait bien la première fois qu’on puisse dire qu’un Blanc n’est pas légitime sur ce type de question… Rwanda 94 a été mis en scène par Jacques Delcuvellerie, un Blanc, qui plus est Français, à une époque où les soupçons de complicité de la France avec le pouvoir génocidaire au Rwanda étaient les plus virulents. Jamais personne n’a relevé sa couleur de peau ou sa nationalité, partout où nous sommes allés. Dans le pays même de Brett Bailey, beaucoup d’artistes blancs travaillent sur ces questions sans aucun problème. William Kentridge a travaillé sur le génocide des Hereros sans problèmes. Du temps même de l’apartheid un artiste comme Athol Fugard a travaillé sur le racisme de l’apartheid sans subir le moindre rejet des militants noirs …Au contraire, ils collaboraient

S.C : On ne peut pas comparer l’esprit d’ouverture qui existe dans beaucoup de pays d’Afrique et ce qui se passe à Paris, avec une bataille pour le monopole de la parole légitime contre le racisme ? 
Totalement ! En France, il y a un réel problème de communautés, de compétition victimaire qui créée une tension. On ne veut jamais aborder ces questions que sur le registre de l’affect.
Un crime contre l’humanité, ça veut d’abord dire que le crime concerne tout le monde. Les victimes de la déshumanisation sont les parents de tous les hommes. On ne peut les réhabiliter qu’en les rendant à la pleine humanité. On ne pourrait les sortir symboliquement d’un ghetto si c’est pour les rentrer dans un autre ghetto, fut-il plus beau ! Je ne peux pas me proclamer plus concerné par la traite négrière que vous, par exemple. A quel titre ? A moins de faire valoir la couleur de ma peau, et de me réclamer à mon tour des mêmes arguments que les négriers !… Je ne suis pas plus récipiendaire de l’Histoire que quiconque.
D’une certaine manière, la France récolte ce qu’elle a semé. Elle a voulu empêcher le fait même de parler de son passé colonial. Il y a une sorte de black-out sur ces questions. Dès qu’on en parle, il y a des mots qui surgissent, comme « repentance », « anachronisme », « communautarisme ». Le contexte français est explosif de ce point de vue.

S.C : En va-t-il de même en Belgique ? 
Les crimes de Léopold II au Congo sont passés sous silence,,il existait à Bruxelles jusque très récemment le dernier musée colonial d’Europe, le Musée royal de l’Afrique centrale de Tervuren (en rénovation depuis 2013, ndlr), dont la scénographie était intéressante : on pouvait encore y voir la propagande coloniale dans ses oeuvres. La grande figure paternelle de Leopold II, statufié en philanthrope ou mettant fin à l’esclavage.
Du crime, rien ! L’enjeu autour des archives coloniales belges, qui pourraient ne plus être accessibles aux chercheurs, reste actuel : l’historien congolais Elikia M’Bokolo dit qu’une partie des archives a déjà été détruite.

S.C : Peut-on parler d’un processus de déni en France ?
L’Algérie a beaucoup joué dans le fait que le débat ait été cadenassé. Il implique des groupes, comme les pieds noirs, qu’on ne veut pas froisser pour des raisons électoralistes. La France est dans des calculs, on regarde ce qu’on peut jeter aux uns et aux autres pour calmer les rancoeurs mais dans l’ensemble aucune volonté politique de régler le contentieux colonial.

En Grande-Bretagne par exemple, tout n’est pas parfait, loin de là, mais il existe une volonté et des gestes qui sont sans équivalent par rapport à la France. Le Musée international de l’esclavage à Liverpool  permet d’aborder le sujet non pas furtivement, mais par le biais d’une institution qui reçoit des visiteurs, des familles, des écoliers, des chercheurs…Ce lieu permet aux Afro-Caribéens de voir leur histoire traitée autrement que via des groupes de pression.
En juin 2013, le Gouvernement britannique a indémnisé financièrement les combattants Mau Mau victimes de la torture de la part de l’armée anglaise durant la guerre de l’Indépendance du Kenya. La mesure n’a pas fait l’objet de la moindre polémique en Angleterre. Je vous laisse imaginer l’ambiance qui régnerait en France si un gouvernement de gauche ou de droite acceptait d’indemniser les victimes de la torture en Algérie !

En France au contraire, il y a eu en 2005 cette volonté qui n’est pas anodine de mentionner le « rôle positif de la colonisation » dans un texte de loi. On est loin de ce qui a été fait en Australie, où un Premier ministre a demandé pardon de façon très officielle en 2008 aux Aborigènes. Au Canada, des excuses ont aussi été faites en 2008 aux Inuits et aux enfants des Indiens qui ont été arrachés à leurs parents.

En France, dès qu’un responsable tente une démarche de cet ordre là, comme Jacques Chirac l’avait fait en 1995 avec la rafle du Vel’ d’Hiv, en reconnaissant la responsabilité de la France, on lui tombe dessus… Pleuvent alors des tombereaux d’insultes. Ce climat ne favorise pas un débat serein sur ces sujets. Les gens de bonne foi qui n’ont aucun intérêt à nier ces faits se sentent visés par des communautés qui se livrent une guerre sur le sujet. Le travail de Brett Bailey entre là-dedans. Bailey a voulu parler aux Blancs en faisant en sorte qu’ils ressentent de la honte. A John Mullen qui lui demandait pour quoi il n’y a pas de victimes blanches dans son exposition, Brett Bailey a répondu que « Les Blancs n’ont jamais été déshumanisés d’un tel racisme systématique ». Quelque part, dans la compétition victimaire que se livrent les communautés en France, Bailey prend position et déclare le Noir vainqueur toutes catégories !

S.C : Etes-vous gêné par l’esthétique de l’exposition ? 
Oui, tout est esthétisé comme pour magnifier l’horreur, ça met mal à l’aise. L’artiste est dans une forme de complaisance avec les faits. Les atrocités deviennent des attractions. Les acteurs sont peints en blanc ou en noir. Il y a un choeur de chanteurs namibiens dont la face est enduite d’une peinture noire brillante, qui chante une musique plaintive. On n’est pas loin de l’univers des Minstrel shows. L’exposition se termine sur cette mise en scène de têtes coupées posées sur des plateaux comme des bijoux sur leurs écrins. Je me suis dit : Si Brett Bailey arrive au Rwanda, il va nous faire un établi avec des crânes luisants et des machettes en or incrustées de diamants !

Si je fais une pièce pour condamner le viol et que je l’érotise à mort, j’amène le spectateur à porter sur la victime le même regard que le violeur. La gêne qu’on ressent dans Exhibit B, n’est pas uniquement due au regard que le figurant vous renvoie. On se sent pris dans un geste qui vous salit, qui vous oblige à faire des associations d’idées malsaines ! Quitte à montrer les horreurs, autant qu’elles restent sordides dans leur aspect insupportable.

S.C : Etes-vous d’accord avec les critiques qui reprochent à Bailey de faire encore du zoo humain ?
Je m’interroge. Contrairement à ce qu’on dit, les zoos humains ne se sont pas arrêtés en 1958. Ils existent toujours ! Personnellement j’ai visité un zoo humain en 2002 à Namur. Il avait été organisé par un humanitaire, qui avait amené des « Pygmées » de l’ethnie Baka du Cameroun dans un parc avec des huttes minables et une sorte de ferme où l’on entendait des discours incroyables. Il était dit que ces gens vivent comme il y a 2000 ans, avec sur le mur un tableau de l’évolution qui allait de l’orang-outang à l’homme. Le promoteur ne maîtrisait pas son discours mais prétendait agir pour la bonne cause : construire des écoles au Cameroun, creuser des puits, etc. Ca a fait du bruit et puis l’affaire s’est arrêtée. Un autre opérateur avait exposé l’année précédente des Masaï dans les grottes de Han en Belgique. Nous sommes au XXIe siècle..
Le spectacle le plus célèbre de la grande vogue des zoos humains, le «  Buffalo Bill’s Wild West Show »  tourne toujours. Il est d’ailleurs en programmation en ce moment à Paris, à Eurodisney. On peut aller y voir des Peaux rouges faire la danse de la mort autour du totem, chasser le bison ou agresser une pauvre famille de pionniers américains !

En fait la seule chose qui a changé avec les zoo humains, c’est leur justification. On prétend aujourd’hui les faire pour de nobles causes. On peut questionner l’acte de Bailey : il fait de l’antiracisme mais en utilisant des méthodes de profiling racial. Au Rwanda, on a créé des catégories identitaires sur des mesures de taille, de nez etc. Quand j’ai vu l’expo à Bruxelles j’ai vu des gens qui répondaient à des morphotypes de la caricature coloniale. Ca m’a interpellé : comment peut-on faire du racisme pour combattre le racisme ?

S.C : Qu’avez-vous personnellement ressenti en sortant d’Exhibit B ?
Je n’ai pas pu être touché. Je suis sorti abasourdi. Comment est-ce possible de faire ça aujourd’hui et que ça passe ? Le spectacle devient le contraire de ce qu’il prétend annoncer, il enfonce beaucoup plus les préjugés qu’il ne les libère. Quand j’ai vu l’exposition à Bruxelles, j’ai été frappé par la morphologie du modèle qui jouait la Vénus hottentot – qui était physiquement dans les critères d’une femme callypige (aux fortes fesses, ndlr). Dans le tableau des Pygmées, les acteurs/performeurs faisaient un mètre cinquante. Je me suis dit : Hmmm ! Même les « Pygmées » de Namur étaient plus grands…
Est-ce qu’on peut encore refaire ça aujourd’hui ? Peut-on sélectionner des Juifs dans une exposition qui dénonce la Shoah sur des traits physiques que leur attribuent les antisémites ? On m’a dit que Bailey a changé ses méthodes de casting à Paris. Si c’est le cas, ça veut dire que lui même commence à se poser des questions.

On est dans des problèmes éthiques fondamentaux. Je comprends quand on dit « Toute licence en art ». Ok, en même temps, l’art n’est pas une religion et nous ne sommes pas en théocratie. Celui qui conteste une oeuvre d’art ne commet pas un blasphème. Tout ce qui se dotera du label « art » sera-t-il légitime ? Mais alors, qu’est ce qui empêchera demain un metteur en scène d’exhiber des affamés pour combattre la malnutrition ? Exhibit B n’est pas le seul spectacle en cause. C’est plutôt même un mouvement qu’on observe depuis plusieurs années. Beaucoup de créateurs des arts vivants et même au cinema, commencent tranquillement à remplacer le personnage par l’individu. Il y a des projets sur le viol qui se sont faits avec des femmes réellement violées. Sur certains sujets comme le génocide, certains metteurs en scène veulent avoir de véritables victimes pour incarner les rôles. Tout ça n’est pas fortuit, c’est une évolution des arts et des publics. Nous sommes à l’époque du Reality Show, l’interprète s’efface doucement devant le spécimen authentique. C’est légitime de se poser la question des limites, sinon bientôt on verra de véritables assassins jouer les héros de la tragédie !

S.C : Etes-vous en accord avec le Collectif contre Exhibit B?
Je n’adhère pas aux revendications identitaires mais je peux comprendre les inquiétudes sur l’éthique. Je vais toujours voir les spectacles qui font polémique, en général je n’y trouve rien à redire mais en deux cas j’ai trouvé que la démarche posait vraiment des problèmes d’ordre éthique qui méritent d’être soulevés  : Exhibit B et l’expo Our Body d’un Allemand qui fait de la plastination —  un procédé qui consiste à prendre des cadavres, les vider de leur sang et garder le même volume en plastinant les muscles. On y voit le corps humain traité comme de la vulgaire viande. « L’artiste » avait découpé certains corps en faisceaux de lamelles pour en faire des bouquets, un corps est découpé en rondelles comme un saucisson et s’étale sur 6 metres, on peut voir des embryons humains sur tous les stades de l’embryogenèse, des corps écorchés sont mis à nu jouant aux cartes. Si on peut désacraliser le corps humain, le chosifier pour les besoins de l’art, où est le sacré ? Où est la limite ? Sommes nous prêts à vivre dans une société sans tabous ?

Directive retour

Monologue d’un sans grade
Seul dans sa cellule
La veille de son bannissement

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Le soleil sur ma porte frappe le seuil et se brise en morceaux. L’humanité n’est plus de saison, voici messieurs les restes d’une vieille rente tombée en faillite. Tenez – gratos – je vous cède mon nom, ma date de naissance, mon état civil, mes amis mes amours, vos papiers, mes quarante printemps, ma dignité de père de famille et mes dernières illusions. Tenez, prenez mon corps fatigué de courir, jetez-le au loin. J’irai croupir dans l’angle mort de vos maximes, en pur esprit revenu de tout. J’ai échoué à vivre libre, juste comme un homme au milieu des autres, en anonyme, comme n’importe qui. Mais voilà je ne suis pas n’importe qui. Je suis une manne miraculeuse qui fleurit le long des côtes et rapporte gros les soirs de campagne. Je vis sur mes gardes, de toutes les antennes je traque les signes, c’est que la haine est bien rentable. Je me tiens en alerte pour qu’au moindre souffle, au moindre froufrou de voile, au moindre fumet de sa pestilente haleine je m’évapore. Je sais la reconnaître, je pourrai la retrouver d’un seul coup d’œil au milieu d’un troupeau. Je connais désormais toutes ses ruses et les multiples masques qu’elle interchange à loisir. Je connais la grande samaritaine et ses larmes salées, sa main sur le cœur et son immense chagrin – merci. Je connais le tribun à la mode, ses larges épaules et son verbe guerrier qui lui tord la face, le justicier n’est jamais loin, le messie non plus – merci aussi. Merci beaucoup mesdames et messieurs je marche seul désormais, les pieds nus sur la braise. Je tiens à sentir la plaie du siècle sur ma peau, tenez voici mes bras torsadés que la lèpre me couvre. C’est moi qui va pas je sais, c’est mon histoire, c’est ma longue marche à travers les ronces, je me débats depuis tant d’années sur tant de fronts de part et d’autre de la grande mer. J’ai connu la bête vorace aux mains creuses, les couteaux sous la manche, les sabots haut perchés, sa gueule d’amour. Je te connais faucheuse, ton goût immodéré pour le sang et les messes basses.  Je slalome au milieu des effluves, je suis pour la croyance populaire le loup garou qui menace les hameaux. L’insécurité des villes c’est moi, le trou de la sécu aussi, l’insalubrité des grandes artères, le chômage endémique des années nonante ce serait moi également. Voyez, je suis bien mis, les pieds plantés dans la frondaison des âges jadis quand sortant de l’enfance l’homme se dressa sur ses pattes. Va, j’ai la gorge enrouée. Le cœur léger d’une divine. Le soir les serres de la nuit m’apportent une lame et je tranche. Vaillamment je coupe dans le noir et je jette. Cadavre au milieu des ombres j’accouche en silence. Regarde ma main dessine un point, je trace une ligne à l’horizon, le ciel se détache des cimes, la rosée perle en gouttes épaisses, c’est une aube rouge, le petit matin de l’Europe ! Maintenant qu’ils viennent, leurs sangles et leurs baillons, nous irons mes menottes et moi prendre l’avion.

Les grands crimes se tiennent par la main

texte paru dans le n 3 de la revue « Intraqu’îlités » consacrée à C. Colomb 

Le 13 Août 2061 un vaisseau spatial décolla du cosmodrome de Baïkonour avec à son bord des spatiotouristes en direction de l’ISS, la station orbitale internationale. Une panne due aux mauvaises conditions climatiques désorienta les outils de navigation et le vaisseau se perdit dans l’univers galactique. Après trois semaines d’errance, le vaisseau échoua sur une planète inconnue de la voie lactée. Les habitants de cette planète rouge que les naufragés prirent tout de suite pour des Martiens, virent en masse, les bras chargés de présents pour offrir la bienvenu à ces êtres étranges tombés du ciel. Au grand étonnement des terriens, les Martiens ne leur manifestèrent aucune forme de méfiance ou d’hostilité. Chose encore plus étrange ces occupants surprise de la voie lactée ne semblaient pas connaître la misère et les privations. Ils vivaient en collectivité, dans une méconnaissance totale de la propriété privée. Pour leurs besoins énergétiques, ils employaient la combustion d’hydrocarbures qui suintaient en abondance du sous-sol de cette étrange planète. Par endroits le pétrole coulait des nappes souterraines telle une eau de source !

Loin de la terre, ces hommes – car il s’agissait visiblement de créatures à forme humaine – avaient développé une toute autre façon de vivre, un tout autre rapport à autrui, une culture originale et une économie viable.

La découverte de cette planète habitée fit l’effet d’une bombe sur la terre. Ainsi donc la science fiction avait raison. Il existait bien quelque part dans l’univers une terre inconnue sur laquelle vivaient une autre espèce d’êtres humains. En l’espace d’un voyage, deux mondes qui avaient vécus jusque là dans l’ignorance l’un de l’autre se rencontraient enfin, et tout naturellement ces inconnus nous tendaient la main, nous souhaitant la bienvenue dans leurs hameaux grands ouverts. A la hâte, on prépara une impressionnante expédition en direction de la planète surprise. On mit sur pied une armada de cinquante vaisseaux spatiaux qui décollèrent simultanément de Baïkonour, de Kourou et de Cap Kennedy, avec à bord six divisions d’hommes en armes, une flotte de bâtiments de guerre équipés d’ogives nucléaires, une escouade de chiens dressés pour la guerre, une commission de grands scientifiques, d’éminents philosophes et des juristes pour statuer s’il s’agissait là de véritables être humains à qui s’applique la charte des droits de l’homme ou si on peut les considérer comme du bétail ou s’ils relèvent de la législation terrienne statuant sur les biens meubles. Dans l’armada, se trouvait également une équipe d’ingénieurs envoyée par les cinq majors de l’industrie pétrolière qui avaient obtenu les licences d’exploitation et l’exclusivité sur l’ensemble des terres pétrolifères de la nouvelle planète. La colonie terrienne se mit tout de suite au travail, les chiens chassaient devant leurs maîtres les misérables Martiens. Il fallait au plus vite dégager du terrain pour les sites de forage dont se disputaient les compagnies. Au bout d’une trentaine d’année le Nouveau monde avait disparu, les habitants y avaient été exterminés à 90 %, les survivants furent réduits en esclavage sinon déportés sur des terres inhospitalières dans des réserves insalubres où les maladies importées de la Terre achevaient de les anéantir à petit feu. La manne pétrolière du Nouveau monde ne fût qu’une malédiction de plus pour la Terre. Elle fit s’affoler une économie déjà ruineuse pour la planète et pour les hommes. L’asservissement des hommes atteignit des proportions dantesques. Favorisée par les traités de libre concurrence, la machine industrielle s’embarqua dans une course effrénée, bientôt apparurent des cataclysmes d’un autre temps, signes d’une lente mais imminente déchéance de la planète Terre !

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Que penserions-nous de notre monde à la veille de notre disparition, si un tel désastre advenait un jour ? Probablement rien qui n’ébranle nos consciences. Une fois passée la divine surprise de la soudaine apparition et de la toute aussi soudaine disparition de ce peuple inconnu, nous porterions aux nues nos illustres conquérants qui ont étendu aussi loin les frontières de notre modèle et ses valeurs cardinales, la liberté, l’humanisme et la démocratie. Les rues de nos villes porteraient leurs noms, leurs visages d’aigles et leurs statues de commodores orneraient les frontons de nos parlements, les plus cruels et les plus sanguinaires d’entre eux auraient une place de choix dans le panthéon de nos héros, dans les films épiques et les jeux vidéos et dans un concert d’auto-célébration nous chanterions à l’unissons l’avènement d’un nouveau monde et le début d’une nouvelle ère.

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En 2004, quand j’ai commencé à écrire la pièce «Bloody Niggers !» qui peut être considérée comme la généalogie du dernier génocide du XXè siècle, en 1994 au Rwanda, je me suis retrouvé, sans avoir anticipé où cela me mènerait, avec une sorte d’épopée macabre qui commence avec le voyage de Christophe Colomb le 3 Août 1492 sur la Santa Maria et sa rencontre plus tard avec les Arawaks dans les Caraïbes. Ce long voyage sur plusieurs siècles m’a mené par trois fois, en Haïti.

Les grands crimes se tiennent par la main, l’un se nourrissant de l’autre. Au Rwanda, le génocide trouve ses racines dans la colonisation qui a succédé à la traite et l’esclavage des Noirs aux Amériques, qui eux mêmes succédaient à l’extermination des Indiens d’Amérique. Voila pourquoi Haiti revient trois fois dans mon récit, comme autant de stations sur un chemin de croix qui lie les crimes contre l’humanité entre eux. Haiti est le lieu de la triple mémoire. Celui du génocides des Indiens d’Amérique,, de l’Esclavage des Noires et des crimes coloniaux.

Extrait de Bloody Niggers

«…En prenant ce raccourci dans le jardin du diable, l’Occident emprunte une longue route pavée de cadavres qui va le mener tout droit jusqu’à la gare d’Auschwitz – Birkenau.
Après les premières manufactures de bétail humain, voici pour la première fois en Occident une usine à produire des cadavres à l’échelle industrielle.
Le bateau négrier dont la cale a été conçue pour transporter x têtes de nègres, empilés comme des harengs, annonçait quatre siècles plus tôt les wagons plombés conçus par Eichmann pour transporter y têtes de Juifs à travers l’Europe.
Le code noir de Colbert annonçait le code de l’Indigénat de Ferry qui annonçait les lois anti-sémites de Vichy. L’extermination des Arawaks, des Sans, des Hereros, de bien d’autres peuples indigènes à travers le monde annonçait l’extermination à venir des Juifs, des Slaves et des Tziganes d’Europe.
L’Occupation de l’Europe de l’Est par les Nazis suit strictement les méthodes de colonisation des peuples indigènes par les nations européennes»

Et si on interdisait les femmes dans l’espace public ?

 

Après avoir été plébiscitée par le Parlement, l’Uganda a adopté le 18 février une loi dite «anti-pornographie» qui prohibe le port de vêtements indécents. Pour reprendre la définition du Ministre de l’éthique et de l’intégrité, le Révérend Père Simon Lokodo, il s’agit de toute tenue susceptible d’irriter le regard d’autrui ou de l’exciter sexuellement.

On comprend toute l’urgence de la loi à la lumière des propos tenus dans les médias par le très éthique Père Lokodo, éminent théologien, diplômé de l’Université Urbaniana de Rome, pour qui «le viol des jeunes filles par des hommes est plus naturel que les relations consentantes entre personnes de même sexe»  voila !

Depuis, dans un climat de chasse aux sorcières, de drôles de gardiens de la morale, traquent les femmes qui osent la minijupe pour leur signifier ce qu’il en coûte d’agresser visuellement son prochain. Mission d’intérêt national dont ils s’acquittent avec beaucoup de courage, il faut reconnaître. Comme tout le monde sait, l’Ougandaise est une redoutable karatéka. Il faut au moins dix gaillards bien bâtis, qui n’ont pas peur de prendre un coup de sac sur le front, pour la coincer dans une impasse et la déshabiller en public.

Naturellement, cette histoire de décence ne nous concerne pas. Je veux dire, nous les hommes. Nous pouvons toujours faire du safari en short dans le pays de la grue couronnée, et nous balader topless sur la plage sans que le ciel nous tombe sur la tête. Les Jeunes peuvent toujours porter ce pantalon d’un goût douteux, qu’on appelle Baggy, dont le principe est d’étaler les fesses à l’air libre. C’est très laid, certes, mais le corps d’un homme est innocent par nature. Sauf quand il se prend pour une femme évidemment !

Le problème c’est la femme. C’est son corps dont la vision peut réveiller le diable qui sommeille en chacun de nous. Mais quitte à sexualiser le corps des femmes, Révérend Père, Honorables députés,  pourquoi faire une fixation sur la minijupe ? Il est vrai qu’un beau galbe peut tourner les sangs d’un honnête homme, mais il n’y a pas que les jambes et les seins Révérend, regardez bien. Tout est troublant chez  une femme. Les bras, les mains, la nuque, le lobe des oreilles, tout. Et ces yeux de biche qui brillent de mille flammes, qu’elles cerclent de mascara pour nous envouter ? N’y a t-il pas là matière à légiférer ? Allez-vous les laisser nous allumer du regard en toute impunité ? Et cette bouche gourmande, aux lèvres pulpeuses et ourlées Messieurs les députés  ? Comment ne pas y penser une seule seconde devant une provocation aussi manifeste ? Ne faut-il pas mettre également ces jolis minois à l’abri des regards indiscrets ? Leur mettre un masque ? Ou une cagoule ? Aller au bout de la logique comme les Talibans, tout cacher. Car tout est beau, désirable, une simple mèche de cheveu peut incendier une ville. Tout couvrir de la tête aux pieds, les chausser jusqu’aux genoux, les ganter jusqu’à la garde comme à l’époque victorienne, ne rien laisser percer car la vision de la moindre parcelle de peau peut nous envoyer à la géhenne.

La loi fait bien de protéger les femmes de notre nature imprévisible.  Il faut isoler les braises des matières inflammables. Nous avons de la nitroglycérine au cerveau et un bâton de dynamite en permanence sur tension.  Ça peut péter à tout moment !

Aucun homme n’étant maître de sa personne, j’ai rodé pour ma propre gouverne, une stratégie de survie en cas d’extrême tentation. Quand je sens que je ne peux plus me contenir, quand les boutons commencent à sauter, que je suis sur le point d’exploser à la vue d’un morceau de chair tabou, je me jette sur le premier homme que croise mon regard et ne le lâche plus d’une semelle. Pendant un moment, je médite sur cet être fait d’épaules et de poings, qui gagne en prestige en grossissant du ventre. Ça calme. Du bel ouvrage, tout en articulations, très pratique pour abattre des arbres, creuser des trous,  manier des armes à feu, avec ses mains préhensiles, taillées pour tenir, attraper, arracher, s’emparer, ramener tout à soi ! Ce Maître du monde, auto-proclamé Vicaire de Dieu sur la Terre, qui frappe une femme sur trois, qui viole une femme toutes les trente secondes, qui tue tous les jours 180 femmes à travers le monde.

Curieusement ce palmarès n’est pas mis à notre crédit. Notre corps émerge inerte et sans charge. C’est l’image de la femme qui en paye le prix. Dans toutes les sociétés, religieuses comme laïques, on se demande à quoi doit ressembler une femme dans l’espace public. Les débats sur la tenue vestimentaire de la femme passionnent  les foules au nord comme au sud du globe. De Ryad à Kampala, en passant par Paris, d’Honorables élus s’occupent, durant des semaines, à trier sa garde-robe. Les interdits et les fatwas tombent drus comme des pierres.

Mesdames, vous causez beaucoup de trouble à l’ordre public ! Voilées, vous faites hurler les Européens, vous portez atteinte à la dignité de la femme ! En tenue décontractée, vous faites hurler les Africains, les Orientaux,.. vous portez atteinte à la dignité de la femme !

Ne cherchez pas à comprendre, la dignité de la femme est une vertu masculine. C’est peut-être même la seule. Les hommes n’ont pas de dignité singulière à défendre. C’ est un concept qu’on ne trouve dans aucune langue, la dignité masculine. Si elle existe, elle se cache très bien. Personne ne l’a vue passer, on en a jamais entendu parler, aucune ligue de défense ne la protège. Dans un siècle de revendications, personne ne bat le pavé pour  dire que le comportement de tel ou tel salaud notoire porte atteinte à l’image des hommes. Et pourtant des salauds bien barbus, il y en a de tous les poils, mais en tant que genre, on s’en bat les yeuk ! Le déshonneur d’un homme ce n’est pas son salaud de frère, c’est sa soeur qui couche !

En guise de dignité, nous avons des filles modernes et bien éduquées, des soeurs courageuses et vertueuses, des femmes respectables et fidèles et des mères saintes et sacrées ! C’est ainsi, vous n’avez pas le choix Mesdames, vous devez être parfaites car vous êtes notre unique vertu.

Si vous croyez qu’avec tant d’attentes placées en vous, nous allons vous laisser porter le tissu de votre choix,  Mesdames, vous vous trompez depuis des siècles ! Vous êtes chacune à la fois et en même temps, la mère, la fille, la soeur et la femme de quelqu’un. Tous ces hommes attendent de vous des gestes précis et contradictoires. Tant que vous n’aurez cessé d’envoyer votre père, votre fils, votre frère et votre mari s’asseoir à votre place sur les bancs du Parlement, ils n’arrêteront pas de fouiller dans vos affaires et vous dicter une conduite. Quand donc arrêterez-vous de déléguer votre pouvoir aux hommes ? Et partant, cesser d’éduquer vos fils comme des divinités mâles !

En attendant, BONNE FÊTE LES FEMMES ! S’il nous arrive parfois d’être injustes, misogynes, paternalistes, violents voire inhumains, de nous comporter bestialement à votre égard, en brutes épaisses, de vous violer ou de vous assassiner, n’oubliez pas, chères soeurs, que nous le faisons toujours « par amour » !

L’angle mort de la bonne conscience française

Aucun anathème du bréviaire raciste sur l’Afrique n’a été épargné au Rwanda dans l’émission parodique #DBQT de Canal+ du 20 Décembre. Cris de singe, cannibalisme – un personnage de « Tutsi » est soupçonné de servir du « Hutu » à manger à ses hôtes français – c’est frais ! Mais il y a plus bas, plus bas que ne peut descendre la pelle dirait Césaire, une comédienne trouve que le génocide n’a pas fait assez de morts « On parle de génocide, génocide, moi je trouve qu’il y en a encore un paquet en pleine forme » Un paquet ! Pour finir en apothéose, comme si Canal+ avait eu peur de louper la palme de l’ignominie, une berceuse macabre jette en pâture les victimes du génocide au rire gras de l’assistance   » Fais dodo Colin mon petit frère… Maman est en haut coupée en morceaux, Papa est en bas, il lui manque un bras… »  

A l’approche de la vingtième commémoration du génocide, on aurait pu rêver que les médias français couvrent désormais cette page de l’histoire du Rwanda qui est aussi la leur et celle de l’humanité toute entière, avec le recul que favorise le temps. On peut toujours rêver. A défaut d’une empathie pour les victimes, on aurait préféré que ces médias s’abstiennent. Par pudeur ou pour le simple respect dû aux morts dans toutes les civilisations. Canal+ a trouvé mieux d’en faire un sujet de dérision.

Sur le Rwanda, un écrivain Tchadien – Koulsy Lamko – écrivait en 2000 dans « La phalène des collines » comme pour conjurer le sort « Nous n’avons pas pour vocation de vivre et de mourir pour vous divertir« . Las, le peuple veut du pain et des jeux, cher Koulsy. Dans le grand barnum des actualités internationales, le Rwanda loge à la case frissons plus plus pour les montreurs de merveilles. Déjà en 1994, alors que les charniers fumaient encore, un membre de l’Académie française revenait du Rwanda tout excité de conter sur toutes les télévisions de France et de Navarre avoir découvert au delà des mers le pays des milles splendeurs. Dans un article tout en superlatifs « J’ai vu le malheur en marche » Jean d’Ormesson se laissait aller, dans le Figaro du 19 Juillet 1994, à une overdose d’exclamations « le Rwanda… Des massacres grandioses dans un décor sublime« …Massacres grandioses ! Telle va la France des droits de l’homme, qui veut savoir sans réaliser, regarder sans rien voir, juste contempler.

Aujourd’hui pour amuser la galérie, Canal+ foule aux pieds la dignité des morts et ajoute à la profanation de leur mémoire, les injures d’un racisme primaire. Douce France !

Cette émission est passée à l’antenne en prime time le 20 décembre. Dix jours durant aucun média français n’y a trouvé rien à redire. Aucun commentaire, aucune critique, aucune condamnation. Rien, circulez, il n’y a rien à voir. C’est peut-être ça le plus effrayant, ce silence de cathédrale, en pleine affaire Dieudonné.

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